Spring is Rebellious (Bahar İsyancıdır), la suggestion au service de la réflexion

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Caroline Delcaire

Artiste engagée et non-conventionnelle, Selma Köksal a présenté son second long-métrage Spring is Rebellious au public d’Istanbul et d’Ankara dans la semaine du 19 avril. Inspirée de son vécu personnel, cette œuvre met en scène le quotidien tumultueux des membres d’une troupe de théâtre stambouliote, sur fond de contestations politiques.

Le film se veut être le reflet d’une réalité qui doit amener les spectateurs à une réflexion. Tout comme les acteurs du film qui n’arrivent pas à vivre décemment de leur activité professionnelle, Selma Köksal, que nous avons rencontrée, nous confie avoir financé elle-même son œuvre. Ayant connu le star system des séries qu’elle dénonce, la réalisatrice avait pour volonté la création d’une œuvre complexe et honnête.

« J’ai essayé de faire ce que je voulais, et pas ce que les gens ou le business voulaient ». Il a alors fallu s’adapter à d’importantes contraintes financières, le film relevant notamment le défi d’avoir été filmé en 16 jours seulement. La réalisatrice, également professeure de cinéma à l’université Beykent, nous confie devoir beaucoup à nombre de ses élèves ayant participé à son film, travaillant jusqu’à 20 heures d’affilée, et parfois de manière bénévole.

Cela n’a pas empêché Mme Köksal de mettre au service de son esthétique de nombreuses techniques cinématographiques telles que le plan séquence. Elle se défend d’avoir réalisé un film théâtral, rappelant qu’il n’y a que 7 minutes de théâtre filmé sur l’ensemble du métrage. La réalisatrice explique cette confusion par le fait que les acteurs de la troupe de théâtre mis en scène dans le film lui-même seraient allégoriques du théâtre.

De la même manière, le tournage d’une séquence dans le long-métrage connaît de nombreuses difficultés financières, sources de tensions et de désespoir chez certains membres. L’un d’entre eux arrive même à se suicider. Il s’agit là d’un des moments les plus durs du film. Selma Köksal elle-même vécu dans sa jeunesse la perte d’un ami qui l’a amenée à cette conclusion : argent, santé et amitié meurent sur les mêmes échiquiers que les acteurs et spectateurs qui peuvent entrer à prendre une telle décision.

Et cet engagement est assumé par Selma dans la troupe, avec aussi le fait d’être confrontés à un dilemme entre intégrité artistique et un autre hospitalisé à une grève de la faim prolongée.

Si le désespoir d’une partie de la jeunesse, projetée dans un monde de plus en plus hostile à ses utopies, est présenté dans le film, l’espoir n’en est pas complètement absent. La métaphore des saisons est là pour nous rappeler la possibilité d’une évolution.

À ce sujet, un des protagonistes du film, qui commente la tentative de suicide, Selma Köksal se veut résolument optimiste, comparant l’enfant à venir. Commentant sa vie, Selma n’a pas l’impression qu’on a amélioré les choses, mais « il y a eu un peu de sens ».

De ce point de vue, si le film suggère à son spectateur une nécessaire réflexion, à la fois sur son vécu et sur la société qui l’entoure, il n’est pas pour autant porteur de solutions toutes faites, ce que d’ailleurs l’auteure ne souhaite pas.

Mais là où d’autres verraient une faiblesse, la réalisatrice y voit au contraire une force. Elle passe par le cinéma et l’art pour susciter l’identification des spectateurs et favoriser l’objectivité des spectateurs face à des interrogations complexes. Selma Köksal entend faire appel à notre raison, car comme elle le soutient, « Il y a ressentir et comprendre ».

Or, c’est sans doute pour que nous cherchions à identifier et comprendre les murs existant dans nos vies que ce film a été réalisé. Image présente dans le film, ces murs sont conçus comme des obstacles à notre bonheur, invisibles mais déterminants et oppresseurs.

Une réflexion qui, espérons-le, pourra toucher un plus large public lors d’une éventuelle diffusion à la télévision.