Artiste engagée et non-conventionnelle, Selma Köksal a présenté son second long-métrage Spring is Rebellious au public d’Istanbul et d’Ankara dans la semaine du 19 avril. Inspirée de son vécu personnel, cette œuvre met en scène le quotidien tumultueux des membres d’une troupe de théâtre stambouliote, sur fond de contestations politiques.
Le film se veut être le reflet d’une réalité qui doit amener les spectateurs à une réflexion. Tout comme les acteurs du film qui n’arrivent pas à vivre décemment de leur activité professionnelle, Selma Köksal, que nous avons rencontrée, nous confie avoir financé elle-même son œuvre. Ayant connu le star system des séries qu’elle dénonce, la réalisatrice avait pour volonté la création d’une œuvre complexe et honnête. « J’ai essayé de faire ce que je voulais, et pas ce que les gens ou le business voulaient ». Il a alors fallu s’adapter à d’importantes contraintes financières, le film relevant notamment le défi d’avoir été filmé en 16 jours seulement. La réalisatrice, également professeure de cinéma à l’université Beykent, nous confie de voir beaucoup à nombre de ses élèves ayant participé à son film, travaillant jusqu’à 20 heures d’affilée, et parfois de manière bénévole.
Cela n’a pas empêché Mme Köksal de mettre au service de son esthétique de nombreuses techniques cinématographiques telles que le plan séquence. Elle se défend d’avoir réalisé un film théâtral, rappelant qu’il n’y a que 7 minutes de théâtre filmé sur l’ensemble du métrage. La réalisatrice explique cette confusion par le fait que les amateurs turcs de cinéma seraient allergiques au théâtre.
De la même manière, la troupe dont il est question dans le long-métrage connaît de nombreuses difficultés financières, sources de tensions et de désespoir chez certains membres. L’un d’eux finit même par se suicider. Il s’agit là d’un événement traumatisant que Selma Köksal a elle-même vécu dans sa carrière théâtrale et qui l’a amenée à s’interroger, autant sur elle-même que sur les causes extérieures qui peuvent amener à prendre une telle décision. Le drame est omniprésent au sein de la troupe, avec certains membres confrontés à un dilemme entre intégrité artistique et nécessité de survivre, et un autre hospitalisé suite à une grève de la faim prolongée.
Si le désespoir d’une partie de la jeunesse, projetée dans un monde de plus en plus hostile à ses utopies, est présent dans le film, l’espoir n’en est pas complètement absent. La métaphore des saisons est là pour nous rappeler la possibilité d’une évolution. Si, comme le dit l’un des protagonistes du film, « le pays est en train de geler », Selma Göksal introduit l’espoir dans le futur avec le personnage de l’enfant à venir. Comme elle l’affirme, « Si nous n’avons pas l’impression qu’il y a une meilleure vie possible, alors la vie perd son sens ».
C’est de cette manière que ce film suggère à son spectateur de nombreuses réflexions, à la fois sur la situation actuelle et sur ce que signifie être humain. Mais là où d’autres nous fourniraient des réponses, la rédactrice ne fait qu’ouvrir la réflexion. Cela passe par une volonté d’éviter l’identification aux personnages afin de favoriser l’objectivité des spectateurs face à des interrogations complexes. Selma Göksal entend faire appel à notre raison, car comme elle le soutient, « Il y a ressentir et comprendre ».
Or, c’est sans doute pour que nous cherchions à identifier et comprendre les murs existant dans nos vies que ce film a été réalisé. Image présente dans le film, ces murs sont conçus comme des obstacles à notre bonheur, invisibles mais déterminants et oppresseurs. Une réflexion qui, espérons-le, pourra toucher un plus large public lors d’une éventuelle diffusion à la télévision. (99, Juin 2013)

